Il y a quelque chose de pourri en République française...
Pour ses voisins, la France a souvent été
un modèle d'inspiration et d'admiration, par l'intensité et la portée
universelle des débats intellectuels dont elle a le secret. Elle est
source d'accablement pour ses amis qui la voient se perdre dans une
polémique stérile sur l'identité nationale. L'opportunité politicienne
de ce débat, sa conduite hésitante et ses finalités floues donnent en
effet l'impression désastreuse que la France a peur d'elle-même. Il y a
décidément quelque chose de pourri en République française.
Le séminaire, qui s'est déroulé en catimini le 9 février, témoigne
du piège dans lequel s'est enferré le gouvernement. D'abord son
opportunité lui échappe : censé contrer le Front national, le débat sur
l'identité nationale a au contraire remis les thématiques d'extrême
droite au premier plan. Ensuite, sa conduite a fait défaut : faute de
consensus politique au sein même de la majorité présidentielle, ces
discussions de sous-préfecture et le site dédié sont devenus un
défouloir au remugle vichyste. Enfin, quelles sont les finalités de
cette affaire ? Apprendre La Marseillaise à l'école ? L'absurde le dispute au grotesque.
Non pas qu'il faille avoir honte de son chant patriotique. Mais
plutôt que de se lamenter sur le fait que les jeunes connaissent mieux
les paroles d'un chanteur à la mode plutôt que celles de l'hymne
national, les Français devraient plutôt être fiers de savoir que La Marseillaise est connue.
Cette crispation sur les symboles nationaux est le symptôme le plus
patent du malaise national transpirant à travers ce débat raté. C'est
un réflexe de peur incompréhensible quand on connaît le poids et
l'influence de la France en Europe et dans le monde. Tous les pays ont
des problèmes d'immigration, les ex-pays coloniaux plus que les autres,
mais nous savons bien que c'est moins l'islam qui pose problème que le
manque de formation et le chômage.
Pour un voyou d'origine africaine ou un Maghrébin islamiste qui
affuble sa femme d'une burqa, combien de jeunes issus de l'immigration
parviennent à s'insérer et à vivre de leur travail dans nos sociétés ?
L'immense majorité. Ce serait une insulte à l'avenir national si ce
débat sur l'identité devait conduire à stigmatiser des couches de la
population à cause des comportements individuels d'une minorité
agissante, dont le cas relève de la police et de la justice.
Lorsque la France a remporté la Coupe du monde de football, je ne me
souviens pas, bien au contraire, que les Français aient eu à se
plaindre des capacités sportives que donnait à leur pays sa diversité
ethnique et culturelle. C'est de cette France-là que l'Europe a besoin,
un pays ouvert et solidaire, qui s'est forgée une identité plurielle et
universelle. Deux concepts si bien mis en lumière par Amartya Sen et Karl Popper,
dont j'ai repris et développé la pensée en 2006 dans un manifeste
politique intitulé "Plaidoyer pour une société ouverte". Pour moi,
l'essentiel en effet n'est pas d'où l'on vient mais où l'on va.
Au moment où l'on célèbre le 50e anniversaire de la mort
de Camus, il serait paradoxal que la France s'abandonne à une posture
étrangère à celle qui a fait sa réputation multiséculaire. Il existe
certes une autre France, maurrassienne, chauvine qui ne s'est pas
illustrée au mieux lors des grands chocs nationalistes du XXe
siècle. Mais de la France qu'on aime et dont on a besoin, on attend des
idées, des projets, et non pas le repli identitaire d'une vieille
nation frileuse, plus occupée à ressasser les échecs du passé qu'à
préparer ses succès de demain. Le légitime respect dont jouit toujours
la France hors de ses frontières est un gage de reconnaissance précieux
et un point d'appui pour redonner confiance aux Français. Un peuple
confiant trouvera sa place dans l'Europe et le monde. Et ses
gouvernants seraient bien inspirés d'en prendre conscience.
Guy Verhofstadt
(président du groupe de l'Alliance des démocrates et des libéraux au Parlement européen, ancien premier ministre belge.)
..........
Pour ses voisins, la France a souvent été
un modèle d'inspiration et d'admiration, par l'intensité et la portée
universelle des débats intellectuels dont elle a le secret. Elle est
source d'accablement pour ses amis qui la voient se perdre dans une
polémique stérile sur l'identité nationale. L'opportunité politicienne
de ce débat, sa conduite hésitante et ses finalités floues donnent en
effet l'impression désastreuse que la France a peur d'elle-même. Il y a
décidément quelque chose de pourri en République française.
Le séminaire, qui s'est déroulé en catimini le 9 février, témoigne
du piège dans lequel s'est enferré le gouvernement. D'abord son
opportunité lui échappe : censé contrer le Front national, le débat sur
l'identité nationale a au contraire remis les thématiques d'extrême
droite au premier plan. Ensuite, sa conduite a fait défaut : faute de
consensus politique au sein même de la majorité présidentielle, ces
discussions de sous-préfecture et le site dédié sont devenus un
défouloir au remugle vichyste. Enfin, quelles sont les finalités de
cette affaire ? Apprendre La Marseillaise à l'école ? L'absurde le dispute au grotesque.
Non pas qu'il faille avoir honte de son chant patriotique. Mais
plutôt que de se lamenter sur le fait que les jeunes connaissent mieux
les paroles d'un chanteur à la mode plutôt que celles de l'hymne
national, les Français devraient plutôt être fiers de savoir que La Marseillaise est connue.
Cette crispation sur les symboles nationaux est le symptôme le plus
patent du malaise national transpirant à travers ce débat raté. C'est
un réflexe de peur incompréhensible quand on connaît le poids et
l'influence de la France en Europe et dans le monde. Tous les pays ont
des problèmes d'immigration, les ex-pays coloniaux plus que les autres,
mais nous savons bien que c'est moins l'islam qui pose problème que le
manque de formation et le chômage.
Pour un voyou d'origine africaine ou un Maghrébin islamiste qui
affuble sa femme d'une burqa, combien de jeunes issus de l'immigration
parviennent à s'insérer et à vivre de leur travail dans nos sociétés ?
L'immense majorité. Ce serait une insulte à l'avenir national si ce
débat sur l'identité devait conduire à stigmatiser des couches de la
population à cause des comportements individuels d'une minorité
agissante, dont le cas relève de la police et de la justice.
Lorsque la France a remporté la Coupe du monde de football, je ne me
souviens pas, bien au contraire, que les Français aient eu à se
plaindre des capacités sportives que donnait à leur pays sa diversité
ethnique et culturelle. C'est de cette France-là que l'Europe a besoin,
un pays ouvert et solidaire, qui s'est forgée une identité plurielle et
universelle. Deux concepts si bien mis en lumière par Amartya Sen et Karl Popper,
dont j'ai repris et développé la pensée en 2006 dans un manifeste
politique intitulé "Plaidoyer pour une société ouverte". Pour moi,
l'essentiel en effet n'est pas d'où l'on vient mais où l'on va.
Au moment où l'on célèbre le 50e anniversaire de la mort
de Camus, il serait paradoxal que la France s'abandonne à une posture
étrangère à celle qui a fait sa réputation multiséculaire. Il existe
certes une autre France, maurrassienne, chauvine qui ne s'est pas
illustrée au mieux lors des grands chocs nationalistes du XXe
siècle. Mais de la France qu'on aime et dont on a besoin, on attend des
idées, des projets, et non pas le repli identitaire d'une vieille
nation frileuse, plus occupée à ressasser les échecs du passé qu'à
préparer ses succès de demain. Le légitime respect dont jouit toujours
la France hors de ses frontières est un gage de reconnaissance précieux
et un point d'appui pour redonner confiance aux Français. Un peuple
confiant trouvera sa place dans l'Europe et le monde. Et ses
gouvernants seraient bien inspirés d'en prendre conscience.
Guy Verhofstadt
(président du groupe de l'Alliance des démocrates et des libéraux au Parlement européen, ancien premier ministre belge.)
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Dernière édition par Speedou le Ven 11 Mai - 18:14, édité 1 fois